QUEL EST LE SUJET DE CE FILM DOCUMENTAIRE ?

Entre 1968 et 1979 s'est déroulée une histoire fascinante aujourd'hui méconnue : des milliers de jeunes occidentaux ont abandonné la quiétude de leur vie pour partir explorer l'Orient, et se découvrir eux-mêmes, vers des destinations dont les noms sont devenus mythiques : Kaboul, Goa, Bénarès, Katmandou.

Ce fut le "hippie trail".

Leur route, ces voyageurs l'ont taillée en bus, en autostop, ou par n'importe quel autre moyen. Leur voyage, qui a duré quelques mois, parfois plusieurs années, fut pour toutes et tous un véritable parcours initiatique qui a bouleversé leur vision du monde et profondément marqué leur vie.

Envisagé sous l'angle français (mais était-ce si différent ailleurs ?), les voyageurs nous racontent leur formidable road-trip, fait d'insouciance, de moments de doutes et de révélations. Des films Super 8 tournés en chemin nous replongent dans ce voyage tandis que des images animées prolongent les archives et nous font revivre quelques-unes de leurs aventures.

50 ans après, nous découvrons les motivations, les enjeux et les conséquences de cette grande migration. Chacune ouvrant vers de nouvelles découvertes et interrogations, jusqu'à la dernière : quel fut le sens de tout ça ?

QUELLE EST LA GENÈSE DE CE PROJET ?

L’histoire de la route de l’Inde et de Katmandou reste un souvenir prégnant pour les cinquantenaires d’aujourd’hui et les générations précédentes. On a beaucoup parlé de ces « hippies » et du mirage Katmandou jusque dans les années 1990, pour s’en inquiéter d’abord, pour s’en moquer ensuite, et pour s’en émerveiller enfin, à mesure que l’utopie des années 70 entrait dans un passé idéalisé.

Ils sont probablement quelques dizaines de milliers de jeunes à être partis vers l’Orient depuis la France, nous n’avons pas de statistiques précises. C’est à la fois beaucoup, mais en fait très peu. Comme souvent, l’audace d’une minorité fonde un mythe qui rejaillit sur toute une génération.

Ces jeunes en partance vers l’Orient, la société les a décrits comme en fuite, en perte de repères, ce qui est probablement vrai, mais leur épopée leur fut certainement émancipatrice et fondatrice. Elle symbolise rétrospectivement l’état d’esprit d’une jeunesse animée par une folle recherche de liberté, une incroyable possibilité de liberté.

A l’heure où les conflits grondent, où les frontières se referment, où la planète s’essouffle, où une partie de la jeunesse peine à s’extraire du monde virtuel -son nouveau et dernier territoire de liberté et d’exploration-, revenir sur cet épisode pionnier par son ampleur m’est apparu indispensable. Au-delà d’une extraordinaire aventure humaine, intemporelle et fascinante pour toutes les générations, il marque le point de départ du concept d’adolescence et ce voyage fut en quelque sorte son rite de passage.

Les acteurs et témoins de cette histoire disparaissent et il est temps de leur donner une parole que l’expérience d’une vie a rendu plus lucide, plus introspective.

Je suis né en 1970. Je n’ai pas vécu ce voyage et cette période, seulement ses réminiscences, ses dernières étincelles, lors de mon adolescence.

Est-ce le souvenir de mes voyages aux confins de l'Europe, enfant, rêvassant par la fenêtre de la voiture familiale, qui a fait germer en moi ce fantasme de la route ? Est-ce l'image de ces deux auto-stoppeurs aux cheveux longs, dans la chaleur d'un été humide, quelque part dans le sud de la France, qui me décida, adolescent, à prendre cette route ? D'abord celles de France, avec une petite caméra Super 8 pour m'accompagner, puis celles de l'Asie, quelques années plus tard, sur les traces de mes aînés.

Les années sont passées, la vie m'a conduit sur des routes plus musicales, mais cette fascination, comme un lancinant leitmotiv, ne m'a jamais quitté. J'ai toujours gardé au fond de moi cette drôle de tendresse pour tout ce qui touche à la notion d'abandon et à l'image onirique des chemins poussiéreux. Et puis j’ai longtemps été séduit par l’idée que cette aventure de milliers de jeunes n’était mue que par l’idée généreuse de transformer notre société, de la rendre meilleure.

Alors, parce qu'aucune étude du "hippie trail" n'avait été entreprise sur le monde francophone, j’ai commencé il y a quelques années un travail de longue haleine fait de lectures, de rencontres et d'entretiens auprès d'anciens routards et témoins de cette époque.

Au fur et à mesure que je poussais mon investigation, mon regard a changé. Loin du stéréotype hippie auquel je m'attendais, j'ai rencontré des gens qui venaient de tous les milieux, aux intentions fort différentes. L'attrait du voyage et le sentiment d'étouffer dans une France pourtant prospère étant le seul dénominateur commun. Et ce fut probablement le cas dans tous les pays. J’ai pris conscience du créneau incroyable qu'ont représenté ces quelques années. Une période où se sont conjugués l'esprit de contre-culture, le plein emploi et des frontières ouvertes. Avant 1968, la route était encore marginale depuis la France, et après 1979, elle s'est éteinte avec la fermeture des frontières en Iran et en Afghanistan et avec l'étiolement de l'esprit intrépide.

Au cours de nos longs entretiens, mes interlocuteurs m’ont confié presque unanimement qu'ils racontaient ouvertement cet épisode de leur vie pour la première fois. Je n'en revenais pas.

Il y avait chez eux et autour de ce récit beaucoup de modestie, de pudeur, de celle qu'on retrouve dans toutes les expériences marquantes et qui les rendent ineffables. Ma rencontre avec eux, des décennies après, les a poussés à enfin trouver les mots. Ceux qui explorent la mémoire des péripéties et ceux qui prennent de la hauteur.

A les écouter, j’ai compris que la charge émotionnelle était bien plus importante que celle qu'ils avaient mis dans leurs autres voyages. Leur vie en a souvent été bouleversée, ils me l’ont dit, comme une mise à nu. Il ne s'agissait pas de vacances mais d'un vrai voyage, de ceux qui transforment et font grandir.

La facilité et l'insouciance avec laquelle on pouvait partir m'a surpris, une façon inenvisageable aujourd'hui, à mi-chemin entre le voyage de masse contemporain et les voyages d'explorateurs d'antan.

Cinquante ans après il n’est plus de raison de porter un jugement sur cette histoire. Ces jeunes étaient-ils des hippies, des drogués, des jeunes en déshérence, un danger pour la société, des utopistes ? Ils vont nous le dire.

Ainsi est née l’idée de faire ce film : porté par mes propres rêves adolescents et par la voix et les images de ces jeunes intrépides.

Montrer ce qu’a pu être la route de celles et ceux devenus aujourd’hui grands parents est un devoir d’éducation et de mémoire.

Comme un hommage, comme une chance qui leur est donnée de se libérer et qui nous est donnée de nous enrichir.

Ce film est le film de leur histoire.